Métavers : progrès ou aberration ?

L’humanité n’a pas besoin du métavers, et la planète non plus. C’est une aberration, un fossé de plus entre l’humanité et elle-même, et un outil de plus pour permettre aux techno-capitalistes de capter et monétiser notre temps de cerveau (Papagiannidis, Bourlakis, Li, 2008). Le métavers arrive en tant qu’univers de rechange, parce que notre univers a failli à fournir la reconnaissance et la sécurité dont les gens ont besoin pour s’épanouir. En écrivant ces quelques lignes, je ne peux pas être plus clair sur ce que je pense du métavers. Et pourtant…

Généré par l’algorithme DALL-E par Jeremy Lamri

Métavers : fiction ou réalité en devenir ?

De manière générale, il est intéressant de voir que les fictions, qu’elles soient sous formes de livres, de mangas, de séries ou de longs métrages, imaginent un métavers où les frontières entre réel et virtuel sont souvent ténues. La mouvance cyberpunk a profondément imprégné la vision du futur, toujours inégalitaire, toujours régi par le capitalisme, et toujours violent et injuste. En ce sens, ces fictions ressemblent plus à des garde-fous qu’à des modes d’emploi.

Nous avons tendance, depuis quelques siècles, à utiliser la technologie pour résoudre des problèmes de notre quotidien. Mais, faute d’anticipation ou de recul, ces technologies créent de nouveaux problèmes et besoins, auxquels nous tentons de répondre dans l’urgence par davantage de technologies. Ce cercle vicieux nous pousse progressivement à créer une société qui lutte pour préserver son propre système, en oubliant qu’elle tire son sens de la protection et de la valeur que le collectif apporte aux individus.

Dans ce système qui s’affole, il ne semble plus y avoir de place pour ceux qui ne suivent pas le rythme, et une nouvelle forme de sélection s’opère. Les systèmes politiques le montrent : la plupart des gens ne se reconnaissent plus dans le fonctionnement de la société. Et pourtant, nous n’avons jamais vécu aussi vieux, nous n’avons jamais été aussi connectés, nous n’avons jamais été aussi éduqués. Malgré tout, ce n’est pas ça, le progrès.

Métavers : la marche forcée du progrès technologique

Je ne vis pas dans un conte de fées ou une bulle hors du temps. Le choix du métavers a déjà été fait pour nous il y a plus de deux décennies au moins. La littérature scientifique a théorisé et décrit le fonctionnement du métavers depuis près de trente ans, et les investissements se sont enchainés depuis. Le train technologique est en marche, et chaque innovation pose les bases de les suivantes.

En revanche, je pense qu’il est encore possible d’orienter les règles éthiques avec lesquelles devront composer ces métavers. C’est pour cette raison que je m’implique autant dans les sujets technologiques. Toute technologie, quelle qu’elle soit, finit par ressembler à ceux qui investissent le plus d’efforts et de moyens pour l’exploiter.

En tant que fervent défenseur du potentiel humain et des processus biologiques et naturels de notre univers, j’ai à cœur d’œuvrer pour que le métavers ne mène pas à une société où l’humain devient le facteur limitant d’une culture techno-centrée qui a renoncé à l’humain. Car soyons lucides, le métavers arrive en tant qu’univers de rechange, parce que notre univers a failli (Heim, 1994).

Notre système a oublié les conditions et les raisons de son existence, mais il a surtout manqué à son devoir, celui de fournir aux individus la reconnaissance nécessaire à leur épanouissement. Je ne crois pas qu’ils trouveront plus de reconnaissance dans le métavers, et je ne crois pas que c’est ce que l’on peut appeler le progrès.

Métavers : de quel progrès parle-t-on ?

Le progrès humain est généralement associé au progrès technique (Simondon, 1959 ; Pestre, 2016). Pourtant, peut-on parler de progrès lorsque les conséquences potentielles d’une avancée sont pires que le problème qu’elle prétend résoudre ? Concernant le métavers, il est normal et sain de se montrer pessimiste, face à ce qui ressemble à une fuite en avant technologique.

Les grandes phases du web montrent bien la transformation spectaculaire de nos modes de vie, tout en mettant en avant le caractère logique de ces évolutions. Chacun de ces besoins est profondément ancré en nous, et une fois rapportée à l’échelle de la société, toute innovation permettant de mieux répondre à un besoin donné finira par être adoptée, même si elle crée par ailleurs un mal plus grand pour notre civilisation elle-même.

Au-delà des métavers, on peut évoquer le mouvement général des grandes sociétés technologiques, qui visent à nous connecter toujours davantage pour augmenter nos capacités, sans prendre le temps de les développer par les moyens que la biologie nous a offerts.

Bien avant le web 3 et le métavers, l’informatique et Internet ont apporté des leviers sans précédent pour répondre aux grands besoins de l’humanité. Depuis un demi-siècle, notre société se transforme progressivement, allant de plus en plus vite. Malheureusement, nous ne prenons pas le temps d’embarquer tout le monde dans cette folle accélération, et le fossé grandit jour après jour, entre ceux qui parviennent à s’approprier les nouveaux usages et les autres.

L’enthousiasme de beaucoup pour une vie virtuelle montre que nous n’arrivons plus à nous réaliser dans la société telle qu’elle est aujourd’hui : il nous faut pour cela de nouveaux espaces, où il nous est possible de réinventer notre identité et nos capacités.

Métavers : pourra-t-on suivre le rythme ?

Les organisations sont sur le point d’être profondément bouleversées par les transformations à venir, en lien avec le web 3 et le métavers. Ces perturbations auront potentiellement autant d’impact qu’Internet. La fonction RH se trouvera une nouvelle fois dans la position d’accompagner le changement, sauf que cette fois-ci, tout ira beaucoup plus vite, et les conséquences seront bien plus déterminantes. En effet, il ne s’agit plus juste de dématérialiser ou digitaliser, mais plutôt de virtualiser et accélérer toute forme de processus.

Alors que tout va aller plus vite, il est une chose dont la vitesse ne s’augmente pas sur une simple décision : l’humain. Les RH vont devoir être vigilants aux risques psycho-sociaux, ainsi qu’au désengagement accéléré, et à l’obsolescence accrue des compétences. La fameuse guerre des talents sera de plus en plus forte, car il sera de plus en plus difficile de trouver des profils capables de s’adapter à toutes ces contraintes.

En prenant un peu de recul, cela signifie que de nombreuses personnes ne seront pas ou plus attrayantes pour les recruteurs, qui pourront les juger inadaptées, ou pire, inadaptables. Les organisations auront un rôle critique pour développer des talents bruts, et pour permettre à d’autres de combler leur retard.

En ce sens, je prêche pour des entreprises capables d’ouvrir des universités au grand public, et pas seulement à leurs salariés, afin de jouer un rôle social mieux engagé. Car dans cette nouvelle économie, il sera fondamental de pouvoir appréhender les capacités accrues de circulation de l’information, de connexion des individus, d’optimisation des processus, et de standardisation. Pour que cela fonctionne, il sera indispensable de permettre à chacun d’obtenir de la reconnaissance réelle, ce qui est, rappelons-le, une promesse forte du web 3.

Métavers : fuite en avant d’une humanité désincarnée ?

Les humains vont donc fuir dans le métavers pour les mêmes raisons qu’ils deviennent alcooliques, s’endettent en jouant, se droguent, ou s’adonnent à ces formes plus subtiles et socialement acceptables d’addiction que sont le sport ou le travail, quand ils sont pratiqués à l’excès.

La cause en est la même : un vide intérieur qui nous pousse à chercher des compensations extérieures (Marc, 2005). Inversement, ces nouvelles technologies donneront des fruits merveilleux quand nous les investirons dans une plénitude d’être. Certes, le système actuel favorise l’aliénation, parce qu’elle est favorable à la consommation et l’obéissance.

Mais il ne tient qu’à nous de créer des cadres émancipateurs, justement en utilisant les opportunités ouvertes par ces technologies, désormais massivement accessibles. La liberté que nous avons de créer notre vie est si abyssale que nous passons notre temps à investir les jouets que nous imaginons du pouvoir de décider pour nous. Il est grand temps de nous assumer comme la source de la réalité que nous vivons.

Je suis convaincu qu’en nous impliquant dans les sujets du web 3.0 dès maintenant, il est encore possible d’utiliser le métavers et les logiques décentralisées pour un vrai progrès humain. Car il ne faut pas oublier que ces métavers ressembleront à celles et ceux qui y mettront le plus d’énergie.

Conclusion : faute de grives…

Le vrai progrès sera celui qui réduira les inégalités dans notre société, en même temps qu’il nous permettra de mieux combler nos cinq grands besoins (information, connexion, suppression des tâches parasites, standardisation, reconnaissance), et qu’il pourra adresser les grands enjeux sociaux, économiques et surtout environnementaux.

À ce stade, il est trop tôt pour faire le procès du métavers, ou pour lui dérouler le tapis rouge. L’humanité est capable du meilleur comme du pire. Les grandes périodes de transformation ont donné lieu à des modèles aliénants comme le travail à la chaîne, mais également à de grands espoirs comme la Renaissance.

Le métavers va-t-il révolutionner la société en nous libérant des limites de notre existence physique et en démultipliant notre capacité d’action ? Ou bien, au contraire, nous enfermer dans une existence hallucinatoire à un moment où la Terre est en passe de devenir un suffocant dépotoir ?

L’humanité a cette capacité à se mettre dans des situations impossibles et quasi-fatales, mais également cette autre capacité à se sortir de pratiquement n’importe quelle situation. Nous sommes la première espèce sur Terre consciente des conditions de sa propre extinction, et également la première espèce sur Terre à disposer de la capacité d’éviter sa propre extinction.

Cette ambivalence de l’être humain peut rendre dingue, et désespérer les plus optimistes, mais elle permet aussi de faire en sorte que la flamme de l’espoir subsiste encore et toujours. Rien n’est perdu, car tout est possible !

Sources

Heim, M. (1994). The Metaphysics of Virtual Reality, Oxford University Press, pp. 38–41.

Marc, E. (2005). Psychologie de l’identité : Soi et le groupe. Dunod.

Papagiannidis, S., Bourlakis, M., Li, F. (2008). Making real money in virtual worlds: MMORPGs and emerging business opportunities, challenges and ethical implications. Metaverses, Technological Forecasting and Social Change, vol. 75(5), pp. 610–622.

Pestre, D. (2016). Le gouvernement des technosciences: Gouverner le progrès et ses dégâts depuis 1945. Éditions La découverte.

Simondon, G. (1959). Les limites du progrès humain. Revue de métaphysique et de morale, vol. 64(3), pp. 370–376.

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