Pourquoi le métavers ne devrait pas exister ? (PARTIE 2 : Social)

Le métavers ressemble à une absurdité profonde qui ne devrait pas exister, mais qui est pourtant inéluctable dans l’histoire de notre société techno-centrée. Voilà, c’est dit. Il va falloir faire avec, et pour cela je m’attèle chaque jour à m’y préparer et accompagner la fonction RH et les organisations. Mais il peut être bon de rappeler pourquoi nous nous serions bien passés de cette innovation. Après une Partie I sur les raisons environnementales, voici enfin la suite, qui aborde les raisons sociales. Une dernière partie abordera les raisons économiques.

Le métavers : un risque pour la santé mentale

En 2021, une enquête ExpressVPN menée dans plusieurs pays dont la France, révélait que 93% des jeunes de 16 à 25 ans estiment que les réseaux sociaux affectent négativement leur santé mentale, principalement en augmentant l’anxiété. Près de deux tiers des jeunes interrogés déclarent passer au moins une heure par jour sur TikTok uniquement.

Gartner prédit que d’ici 2026, un quart de la population passera au moins une heure par jour dans le métavers. On imagine aisément que cela ne risque pas de régler le problème, loin de là même ! Si le métavers est aussi addictif que TikTok et les réseaux sociaux, il est probable que ses effets sur la santé mentale soient comparables… et même probablement pires.

En effet, lorsque vous évoluez dans le métavers, vous êtes représenté par un avatar que vous créez de toutes pièces. Dans la plupart des métavers, vous disposerez d’une liberté totale pour définir son apparence. Ce point précis va impliquer deux conséquences majeures.

La première conséquence, c’est que pour exister socialement, vous devrez suivre la mode ayant cours dans le métavers : dernier pantalon tendance, sac Gucci, lunettes Chanel, etc. Tous ces objets seront des NFT proposés par les acteurs de la mode. De nombreux accessoires de mode virtuels sont déjà proposés à la vente, souvent à des prix comparables à ceux du monde réel.

Si vous n’êtes pas influençable, ce n’est pas le cas de centaines de millions de personnes, pour qui la mode est source de reconnaissance identitaire. Mais face au besoin d’entretenir deux garde-robes, laquelle privilégieront-ils ? Celle du monde réel, ou celle du monde virtuel ? La réponse se trouvera là où ils seront le plus susceptibles d’être remarqués, et cet endroit sera le métavers.

La deuxième conséquence tient au fait même d’avoir deux identités. Bien évidemment, c’est fâcheux de négliger sa tenue réelle au profit de sa tenue virtuelle, mais ce n’est pas le fond du problème. Le fait d’avoir une double identité risque de provoquer des troubles sévères pour la santé mentale des utilisateurs, notamment chez les plus vulnérables. Avec le métavers, vous pourrez choisir d’être qui vous voulez, un peu comme sur les réseaux sociaux, mais avec une capacité de projection inégalée jusque-là — sauf dans certains jeux vidéo peut-être.

Plusieurs études ont été menées sur la santé mentale de joueurs de World of Warcraft, l’un des jeux multijoueurs les plus addictifs jamais créés au début des années 2000. Ces études évoquent de nombreux effets : déconnexion avec la réalité, désociabilisation, perte de motivation, perte d’appétit, augmentation de l’anxiété, dérèglement de nombreux cycles biologiques. Dans un environnement encore plus immersif que World of Warcraft, on peut s’attendre à retrouver tous ces effets négatifs sur les utilisateurs en état d’addiction.

Pour chaque trouble, physique ou mental, il sera nécessaire d’assurer un traitement ou un protocole ayant un effet dans le monde réel. En plus de tous les éléments évoqués dans ce chapitre, l’ajout de cette contrainte sur le système semble lourde, et pourrait être évitée. Dans un monde où le métavers va exister malgré tout, il s’agira donc de pouvoir détecter très tôt les utilisateurs à risque, et de les accompagner efficacement pour éviter une spirale infernale dont ils peineront à sortir seuls, et qui coûtera cher à la société.

Des enjeux sociaux critiques à traiter sans attendre

L’état dans lequel nous avons mis notre planète est extrêmement préoccupant, car l’être humain pour survivre a besoin de conditions très spécifiques, que l’on ne retrouve que sur peu de planètes. Cet aspect suffit à démontrer que nous avons d’autres priorités à gérer avant le métavers. Mais même sans cela, il existe encore bien d’autres raisons à mettre en avant !

L’une d’entre elles concerne les enjeux sociaux de notre civilisation, qu’il est urgent de prendre en charge pour éviter un délitement social irrémédiable. Par manque de temps, et parce que le sujet est largement traité par ailleurs, j’irai à l’essentiel dans cet article. Que les puristes et grands connaisseurs me le pardonnent !

Selon le Programme Alimentaire Mondial de l’ONU ou PAM, fin 2021, 43 pays étaient menacés d’insécurité alimentaire aiguë, provoquant une situation de famine pour près de 50 millions de personnes dans le monde. Près de 7 milliards de dollars ont été investis en 2021 pour lutter contre cette famine.

Si on reprend l’exemple précédent de l’acquisition de casques de réalité virtuelle pour l’ensemble des 30 millions d’actifs français, on arrive approximativement au même montant. Autrement dit, l’équipement en casques VR de tous les actifs français pourrait permettre de lutter une année complète contre la famine mondiale.

Si on regarde un cran plus loin, sans parler de famine, ce sont près de 780 millions de personnes (soit 11% de la population mondiale) qui vivent dans l’extrême pauvreté, dont le seuil se situe en dessous de 1,90 dollars pour vivre. Encore un cran plus loin, ce sont 3,4 milliards de personnes (soit 44% de la population mondiale) qui vivent avec moins de 5,5 dollars par jour.

Dans les deux cas, que ce soit avec 1,9 dollars ou 5,5 dollars, il s’agit du budget total disponible par personne pour se loger, se nourrir et se vêtir. Qui peut aujourd’hui prétendre vivre tous frais compris pour à peine 50 euros par mois, et ce quel que soit le pays ?

Pour accéder au métavers, il est nécessaire de disposer d’une connexion Internet à haut débit, et d’un terminal compatible. Que ce soit pour un accès en immersion par casque VR, ou un accès classique sur écran d’ordinateur ou de mobile, cela implique d’avoir accès à un équipement technologique, et à une source d’énergie pour le maintenir chargé. Soit des frais bien supérieurs à ce que la moitié de la planète peut se permettre.

Une situation alarmante même en France

Source : Insee, enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) 2019.

On peut également regarder la situation plus localement, et prendre l’exemple de la France. En France, le seuil de pauvreté est fixé par l’INSEE à 34 euros par jour. On dit d’une personne qu’elle est pauvre si ses revenus sont inférieurs à 60% du niveau de vie médian de la population. En 2021, le Conseil National de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale, ou CNLE, annonçait le chiffre de 12 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté, soit près de 18,5% de la population nationale.

Parmi ces personnes, plus de 300 000 sont sans domicile fixe, vivant dans l’exclusion sociale la plus totale. 7,2 % des personnes sont à la fois en situation de privation matérielle et sociale, de privation matérielle et de pauvreté en conditions de vie. 2,6 % sont en situation de privation matérielle et sociale mais ne cumulent ni avec la pauvreté en conditions de vie, ni avec la privation matérielle.

En mars 2022, pour sensibiliser à la dissonance entre ces enjeux socio-économiques et les sommes importantes investies dans la création du métavers, l’association Entourage a mené une opération de sensibilisation en créant Will, le premier SDF du métavers. Cette même association s’était notamment fait connaître il y a quelques années en créant le réseau social LinkedOut, proposant d’utiliser le concept de réseau pour favoriser l’inclusion sociale, plutôt que pour se faire mousser sur Linkedin.

Will, le premier SDF du métavers, créé par l’Association Entourage (Source : Entourage, 2022).

Un fossé social qui se creuse d’heure en heure dans le monde entier

En 2022, l’association Oxfam met en évidence dans un rapport le creusement du fossé entre riches et pauvres. Les chiffres sont édifiants : toutes les 30 heures, une personne devient milliardaire. Pendant ce temps, toutes les 33 heures, une personne bascule dans l’extrême pauvreté quelque part dans le monde.

Depuis 2020, plus de 65 milliardaires ont émergé, faisant fortune avec l’industrie agroalimentaire. Sur la même période, les prix des denrées alimentaires de base ont flambé, et le spectre d’une crise alimentaire est devenu l’un des enjeux les plus pressants au monde. Le monde compte près de 2 700 milliardaires, dont les fortunes cumulées représentent environ 15% du PIB mondial.

Les initiatives comme celles d’Entourage et d’Oxfam sont nombreuses dans le monde ; mais avec ou sans elles, le métavers est en route. Et pour ce que l’on en voit, il ne semble pas avoir pour vocation la lutte contre la pauvreté économique ou sociale. Sans la résolution de ces enjeux majeurs, le métavers sera le royaume réservé à la moitié de la planète la plus chanceuse, lieu de divertissement et de productivité pour happy fews.

Ce nouvel espace culturel permettra d’acquérir les codes du nouveau monde ; ceux qui ne pourront pas y accéder risquent de se retrouver exclus ou invisibles aux yeux du reste de la population. À moins que le métavers ne permette de favoriser directement et activement l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté, il ne fera que creuser l’écart entre ceux qui ont accès au progrès et les autres.

Pour un métavers socialement inclusif et utile

Demain, les nouveaux codes de la culture et de l’enrichissement économique et social se trouveront probablement dans les métavers, et ceux qui n’y auront pas accès seront encore plus marginalisés qu’aujourd’hui. Il est donc urgent de plaider en faveur d’un métavers comme lieu d’inclusion : que des initiatives majeures soient prises pour que les métavers permettent aux gens de conserver ou retrouver une situation sociale pérenne dans le monde réel ! Alors seulement, le monde virtuel aura peut-être, et je dis bien peut-être, un intérêt.

En revanche, quelle que soit la nature du métavers, il sera nécessaire de disposer d’une connexion Internet suffisamment puissante. Par défaut, cela écarte aujourd’hui des milliards de personnes, notamment dans les pays et régions les plus défavorisés. Même si la qualité de connexion à Internet progresse chaque année dans le monde, il faudra probablement encore une à deux décennies au moins pour que cette qualité soit suffisante pour le plus grand nombre.

Pour contrebalancer le caractère pessimiste de cet article, il est bon de rappeler que le taux d’équipement des populations sera un sujet que les acteurs du métavers eux-mêmes mettront un point d’orgue à régler. Comme pour les téléphones portables, la connexion Internet, les casques et lunettes sont des points d’entrée vers cette nouvelle économie. Tout sera fait pour que chacun puisse consommer, nous pouvons être ‘rassurés’ sur ce point.

Sur une note plus positive, il est possible d’imaginer des cas d’usage très vertueux et positifs, qui permettront des mises en situation très immersives, susceptibles de former et accompagner des millions de personnes dans l’acquisition de compétences ou nouveaux codes sociaux. Une telle pratique pourrait s’avérer utile pour renforcer l’action des travailleurs et organismes sociaux. Si tout n’est pas rose, il devrait bien être possible de sortir quelques avantages de cette déferlante technologique ! Egalement, il est intéressant de regarder de plus près l’intérêt de certaines technologies mises en oeuvre pour permettre le métavers, ainsi que les 15 principes d’un métavers acceptable.

Dans le prochain article, nous aborderons les raisons économiques pour lesquelles l’arrivée du métavers n’est pas la meilleure des nouvelles. Une fois encore, l’objectif avec cette série d’articles n’est ni de critiquer ni d’encenser le métavers, mais simplement de prendre du recul. En prenant conscience des bons et mauvais aspects, il devient possible de se positionner de manière mature, avec le recul nécessaire pour intégrer le métavers dans nos vies et celles de nos proches.

J’espère que ce nouvel article a permis de vous éclairer. On a encore un peu de temps a priori, et demain est un autre jour, mais c’est aussi déjà demain ! Tomorrow is only a day away…

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