Métavers : vers la fin des conséquences ?

Illustration par Paul Tansley

Le métavers marquera-t-il la fin des conséquences ? Cette question, a priori sortie du chapeau, vise à mettre en lumière un phénomène qui prend de l’ampleur depuis une quinzaine d’années : l’agonie de l’espoir et de l’optimisme dans notre réalité. Face aux multiples crises sociales, environnementales et économiques, il devient de plus en plus difficile d’imaginer un futur heureux et optimiste. Tout d’abord parce que les solutions semblent ne pas encore exister, et surtout parce que nombre de lanceurs d’alerte nous rappellent régulièrement que notre civilisation approche de sa date d’expiration. Dans ce contexte, le métavers peut être vu comme une conséquence sociologique d’une société qui a perdu foi en la réalité, et qui souhaite exprimer ses désirs et ses frustrations sans limites.

La fin de l’espoir…

En 2001, selon un sondage annuel du New York Times, plus de 71% des jeunes américains estimaient qu’ils auraient un avenir plus favorable que la génération précédente. Mais depuis la crise des supprimes en 2008, et les alertes répétées sur les urgences environnementales, sociales et économiques, ce chiffre ne fait que diminuer. Alors qu’en janvier 2008, le chiffre se tenait encore à 66%, il était descendu à 44% en 2011. Et en 2014, ils n’étaient plus que 29% à croire à un meilleur avenir que celui de leurs parents, et 33% en 2016.

Sondage IPSOS MORI dans The Guardian, 2014

Au point d’être tombé à 27% en 2019 d’après le Wall Street Journal. Depuis, nous avons eu la pandémie mondiale de la covid-19, le rapport alarmant du GIEC, la guerre en Ukraine, et la radicalisation progressive de toutes les populations dans le monde… En 2022, le World Economic Forum nuance ces études en expliquant que les nouvelles générations vivront globalement dans un meilleur confort matériel, mais qu’effectivement, feront face à des difficultés de nature à profondément affecter leur santé mentale… Pas vraiment de quoi redonner de l’espoir ! Face à un monde dont on pense qu’il offre si peu de perspectives, il est tout naturel de vouloir s’échapper vers des mondes offrant plus d’espoirs, même si ceux si cont artificiels et éphémères.

Disney

La crise économique et sociale mondiale de 2008 a marqué un tournant tristement critique dans la manière dont nous envisageons collectivement notre futur. Et à ce titre, je pense par exemple que le succès démentiel du Marvel Cinematic Universe (MCU) depuis 2008 doit beaucoup à cette tendance. Marvel nous propose des super héros qui trouvent un sens à leur vie en se battant pour ce qui est juste, contre des méchants qui veulent soit asservir ou détruire l’humanité (Hydra, Loki, Ultron, Thanos). Mais cet outil scénaristique à lui seul n’aurait pas suffi pour faire du MCU le succès mondial qu’il est aujourd’hui.

Et la fin des conséquences…

Progressivement, le MCU a également intégré un principe fondamental très dangereux : rien n’a de conséquences. Les méchants ne sont pas vraiment méchants, les gentils qui se fâchent finissent par se raccommoder, et les héros qui meurent finissent par revenir. Sur ce dernier point, on peut prendre l’exemple de Loki, le frère de Thor, tué par Thanos dans notre réalité, mais vivant dans de multiples autres réalités du multivers. Loki, même mort dans notre réalité, a eu sa série, permettant d’expliquer comment nous allons pouvoir le retrouver à nouveau dans les prochains films.

Un autre exemple est celui des pierres d’infinité, qui permettent de ressusciter les milliards d’êtres vivants tués quelques années plus tôt par le méchant Thanos. En créant des histoires où le bien gagne, et où les conséquences peuvent être défaites, le MCU trouve une résonance très particulière dans l’inconscient d’une grande partie de la population. Bien évidemment, le MCU propose des trames scénaristiques un peu plus complexes que ces quelques lignes, et certaines des actions ont des conséquences, mais juste assez pour créer un attachement émotionnel aux personnages, et pas suffisamment pour que cette réalité ne ressemble trop à celle dans laquelle nous vivons. Les pierres d’infinité, le multivers et les pouvoirs divins sont la fin des conséquences irrémédiables.

Rick et Morty enterrant leurs doubles dimensionnels pour prendre leur place

Avec un peu plus de cynisme, on pourrait prendre l’exemple de la série animée Rick et Morty, qui montre que rien n’a d’importance. Dans cette série post-nihiliste, Rick, un vieux génie excentrique, voyage dans l’espace, le temps et les réalités pour vivre des aventures incroyables avec son petit fils, Morty. Au-delà des aventures, on apprend rapidement qu’il existe une infinité de Rick et de Morty, et que le Rick suivi dans la série a eu l’occasion d’en voir mourir de nombreux autres, ainsi que sa famille dans sa dimension originale. Blasé et revivant les mêmes drames encore et encore, il a renoncé à l’espoir d’un avenir meilleur, se contentant de préserver par toutes les exactions possibles l’équilibre qu’il a jadis connu.

Dans Rick et Morty, pas besoin de métavers pour explorer le risque de s’enfuir de la réalité. On peut malgré tout souligner l’excellent épisode Mortynight Run (saison 2, épisode 2), dans lequel on voit Morty jouer à un jeu en réalité virtuelle, qui lui fait vivre toute une vie de la naissance à la mort, alors que dans la réalité quelques secondes seulement s’écoulent. Outre cet épisode, la série joue avec les réalités alternatives comme autant de réalités virtuelles au service des personnages principaux. Au risque que plus rien n’ait d’importance…

Multivers et métavers, mêmes enjeux

Et ce serait accorder bien peu de crédit aux états et aux organisations, pour lesquels vous représentez leur futur. Dans ces métavers, vous serez un utilisateur qui fournit des données précieuses, un consommateur qui dépense de l’argent réel, un citoyen qui continue d’avoir le droit de vote dans le monde réel. Toutes les actions que vous ferez dans ces mondes virtuels seront susceptibles de diminuer vos libertés de choix et d’action dans le monde réel. La science-fiction en montre des exemples marquants dans Westworld, Minority Report ou encore dans The Feed plus récemment.

Les exemples sont tellement nombreux pour faire réfléchir sur les enjeux éthiques du web 3 et du métavers, et ce sera probablement un prochain sujet d’article. En attendant, il me parait utile de citer au moins la série Upload, arrivée en 2020 sur Amazon Prime Video. Dans Upload, il est possible de transférer sa conscience dans un métavers juste avant de mourir. Selon les montants investis, les défunts peuvent vivre dans une réalité virtuelle plus ou moins luxueuse, et recevoir la visite de leurs proches encore vivants. Surtout, les riches et puissants dont la vie s’est terminée continuent à gérer leurs empires depuis cet au-delà cinq étoiles.

Amazon Prime Video

Rien qu’avec cette trame narrative, on comprend bien le risque de dérives éthiques que peut entrainer le métavers : sélection par l’argent, et surtout fin des conséquences de la mort elle-même. Pour aller encore plus loin dans l’utilisation du concept de vie après la mort, la série explore même la possibilité d’utiliser le métavers comme une sorte de salle d’attente pour défunts, le temps de réimplanter les consciences dans de nouveaux corps. Avec une bonne dose d’humour, la série nous montre comment les fervents défenseurs du transhumanisme et de l’ultra-libéralisme pourraient utiliser le métavers pour leurs propres intérêts.

La fin de la mort elle-même ?

Surtout, la fin de la mort peut réellement être considérée comme la fin du sens de l’existence pour l’humanité. S’il n’y a plus de fin, alors quel est le but de l’existence ? Si les ordres établis peuvent durer éternellement car les puissants ne meurent plus, alors la masse se retrouve dans un supplice éternel, condamnée à servir des maîtres immortels et tout puissants. Bien évidemment, il faudra des décennies, voire des siècles pour qu’un tel scénario devienne une réalité potentielle, mais je porte la conviction que les choix que nous faisons collectivement aujourd’hui déterminent le monde dans lequel nous vivrons demain. Aussi, il est important de ne pas abandonner notre futur.

Alors oui, à une époque où l’espoir se tarit dans le monde réel, il y a une réelle possibilité pour que le métavers représente le fantasme d’un monde sans conséquences, où rien n’a d’importance. Le métavers peut concentrer le pire de ce qui fait l’humanité, mais peut aussi contribuer à en faire émerger le meilleur, si suffisamment d’efforts sont investis pour penser le cadre approprié. A la fois échappatoire et défouloir, un tel monde deviendrait-il source d’optimisme et de renouveau, ou le symbole de l’exutoire de toutes les violences et frustrations ? En science-fiction, le genre cyberpunk s’est fait son idée depuis près de 40 ans. Mais le métavers se construit en ce moment même, et rien n’est joué d’avance. Alors il est grand temps de prêcher pour un cadre vertueux, où la fin des conséquences ne signifie pas l’abandon de l’espoir et de la réalité. Comme le rappelle Sarah Connor dans Terminator 2 : “No Fate”. Il n’y a pas de fatalité, nous pouvons construire le futur.

Construire le futur

Des gens me demandent souvent pourquoi le métavers se développe vraiment aujourd’hui, alors que des tentatives se succèdent depuis 20 ans avec Second Life, Minecraft et autres environnements virtuels. Je pense sincèrement que la maturité technologique ne constitue qu’une partie de la réponse. Je pense que notre société a profondément évolué dans son rapport au futur au cours de la dernière décennie, et que cet amenuisement de l’espoir et de l’optimisme impacte profondément les choix que nous faisons au quotidien pour construire ou non notre futur. Alors pour éviter désillusions et cercles vicieux, posons dès maintenant les questions qui feront des métavers des endroits souhaitables et porteurs d’espoirs durables pour le monde réel.

Dans le métavers, devrions-nous pouvoir tuer d’autres individus ? Devrions-nous pouvoir vandaliser les biens des autres ? Devrions-nous respecter les lois de la physique, ou même les lois de la société ? Devrions-nous pouvoir être qui nous voulons, sans réfléchir aux conséquences ? Est-il acceptable que le métavers s’approprie les ressources énergétiques, matérielles et intellectuelles du monde réel ? Peut-on accepter le fait que notre patrimoine virtuel ait demain plus de valeur que notre patrimoine réel ? Peut-on accepter le fait que le métavers modifie profondément notre conception des conséquences de nos actes ? Vaut-il mieux exprimer ses frustrations et violences dans un monde virtuel ou dans le monde réel ?

Et d’un autre côté, celles et ceux qui exploitent notre utilisation du métavers devraient-ils pouvoir le faire impunément ? Quelles seront les limites du capitalisme, de la politique ou même de la religion dans ces nouveaux mondes ? Qui aura la liberté de choisir son immersion dans le métavers, et qui la subira ?

Les questions ne sont peut-être pas parfaites, mais attendez avant de juger trop vite, car les réponses de la société à ces questions pourrait bien vous donner des sueurs froides. Il y a de fortes chances que ce qui se prépare ne soit pas très glorieux, soit bienpensant et conditionnant, soit chaotique et déstructurant. Dans tous les cas, il est aujourd’hui difficile d’imaginer comment le métavers sera source d’épanouissement et d’élévation de l’humanité vers un plan supérieur de la conscience. Car au fond, la réelle lueur d’espoir pour notre humanité réside dans le rêve un peu fou que nous serons collectivement un peu plus respectueux de tout dans le futur…

J’espère que vous avez apprécié ce nouvel article en lien avec le métavers. Le volet éthique va prendre de plus en plus de place dans la prochaine phase de mon approche du métavers et du web 3, et je vous prépare actuellement un article de fond sur les principes éthiques à prendre en compte pour un métavers acceptable sur les plans sociaux, environnementaux et économiques.

Si le concept de métavers est encore flou pour vous, je vous invite à vous abonner à la newsletter dédiée que je tiens sur le sujet, et à lire les articles suivants que j’ai pu écrire sur le sujet :

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