Le traitement des peurs est le fondement essentiel de la longévité d’une civilisation quelle qu’elle soit. Et si dans le futur, une entreprise prenait ce principe au pied de la lettre ? Aujourd’hui, on plonge dans l’un des pires futurs que l’humanité pourrait nous réserver, celui de l’entreprise NeuroTech.
Alice fixait le miroir, le regard plongé dans ses propres yeux verts. Quelque chose clochait. Une sensation de déjà-vu persistante, comme un souvenir qui cherchait à refaire surface mais qui restait désespérément hors d’atteinte. Elle ajusta sa blouse blanche et quitta les toilettes de Neurotech pour rejoindre l’open-space.
Autour d’elle, les employés s’affairaient devant leurs écrans, l’air concentré. Trop concentré peut-être. Leurs regards semblaient vides, leurs gestes mécaniques. Une parfaite chorégraphie d’efficacité. Alice s’installa à son poste, la LED de son Neuro-Scan clignotant à sa tempe. L’implant enregistrait le moindre de ses faits et gestes, la moindre de ses pensées. C’était le prix à payer pour travailler chez le leader mondial des neurotechnologies. Une transparence totale pour une productivité optimale, promettait la direction.
Les premières semaines, Alice s’était pliée au protocole sans sourciller. Les tests psychologiques, les séances de « rééquilibrage émotionnel », la méditation obligatoire… Mais dernièrement, ses rêves étaient parasités d’images étranges. Des visages inconnus, des lieux qu’elle n’avait jamais visités. Et cette impression tenace que quelque chose n’allait pas.
Un message s’afficha sur son écran. Son taux de concordance émotionnelle était en baisse. Elle était convoquée pour une séance de correction. Alice sentit son pouls s’accélérer. Personne ne savait ce qui se passait vraiment lors de ces séances. Les employés qui en revenaient semblaient… différents. Comme vidés de leur substance. Alice prit une profonde inspiration et se leva. Mais au lieu de se diriger vers le centre de traitement, elle bifurqua vers les archives. Elle devait en avoir le cœur net.
Après avoir déverrouillé la porte avec son pass, elle se faufila entre les rayonnages poussiéreux. Son Neuro-Scan lui envoyait des décharges de plus en plus douloureuses, mais elle serra les dents. Au fin fond de la salle, elle découvrit un ancien terminal. Avec des gestes fébriles, elle pirata le système et accéda à des fichiers cryptés. Ce qu’elle découvrit lui glaça le sang.
Le Neuro-Scan ne se contentait pas d’observer et de corriger. Il effaçait des pans entiers de mémoire et reprogrammait littéralement le cerveau des « déviants ». Toute pensée non-conforme était éradiquée, remplacée par un conditionnement sur-mesure. Soudain, une voix résonna dans son implant. « Alice, nous avons détecté une activité suspecte. Une équipe est en route pour vous reconditionner. Ne résistez pas. »
La jeune femme arracha son implant dans un cri de douleur et de rage. Les souvenirs affluèrent, vifs et aveuglants. Sa vie d’avant, son recrutement, le lavage de cerveau… Elle n’était pas qu’une simple ingénieure. Elle était une rebelle infiltrée, et sa mission était de détruire Neurotech de l’intérieur ! Elle téléchargea à la hâte tout ce qu’elle put sur sa puce.
Des pas résonnèrent dans le couloir. Alice se rua vers la sortie de secours, bien décidée à mener son combat jusqu’au bout. L’avenir de l’humanité était en jeu. Derrière elle, les hurlements de ses poursuivants se mêlaient aux cris silencieux d’un million d’âmes prisonnières de leurs propres esprits. Dans la pénombre, le logo de Neurotech brillait d’un éclat menaçant.
Alice courut à perdre haleine dans les rues sombres, son cœur battant à tout rompre. Les immeubles de verre et d’acier de Neurotech se dressaient autour d’elle comme les barreaux d’une prison. Soudain, une silhouette émergea d’une ruelle. C’était John, son contact au sein de la résistance. « Alice, dépêche-toi, ils arrivent ! » cria-t-il en lui lançant un pistolet.
Ensemble, ils foncèrent vers les quartiers périphériques, esquivant les patrouilles de sécurité. Enfin, ils atteignirent une planque souterraine. D’autres rebelles les y attendaient, le regard dur et déterminé. « As-tu les preuves ? » demanda leur chef. Alice hocha la tête et tendit une puce de données. « Tout est là. Les plans du Neuro-Scan, les protocoles de reconditionnement, les liste des victimes… »
Le chef inséra la puce dans un ordinateur. Mais au lieu des fichiers espérés, un message s’afficha : « Simulation terminée. Taux de déviance : 78%. Sujet prêt pour reconditionnement. » Alice sentit un vertige la saisir. Autour d’elle, les visages des rebelles se brouillèrent, remplacés par ceux d’employés de Neurotech en blouse blanche.
« Félicitations Alice, tu as passé le test d’intégrité avec succès », dit l’un d’eux avec un sourire froid. « Tu es prête à rejoindre notre niveau 5. » La jeune femme hurla, se débattit, mais déjà une seringue s’enfonçait dans son cou. Alors que ses pensées se délitaient, une ultime question flotta dans son esprit. Qui était-elle réellement ? Une rebelle ? Une employée modèle ? Ou juste un cobaye dans une expérience dont elle ne soupçonnait pas l’ampleur ? Puis le noir l’engloutit et Alice sombra dans l’oubli, prête à être remodelée. Au-dessus d’elle, le logo de Neurotech pulsait doucement, tel un dieu silencieux contemplant ses créations.