Imaginez un monde où la justice n’est plus rendue par des hommes, avec leur sagesse et leur compassion, mais par des machines implacables et insensibles. Un monde où votre sort est scellé en quelques minutes par un algorithme qui ne voit en vous qu’une suite de chiffres et de probabilités. A qui cela pourrait-il profiter ?
Paris, 2050. Dans un monde où la technologie régnait en maître, les intelligences artificielles avaient peu à peu remplacé les humains dans de nombreux domaines, y compris celui de la justice. Les tribunaux étaient désormais présidés par des IA-juges, des entités froides et calculatrices, programmées pour appliquer la loi de manière implacable et efficace.
Emma Mercier, une jeune femme de 25 ans, se tenait nerveusement devant les portes du tribunal. Ses mains moites trahissaient son angoisse. Son avocat, un homme d’une cinquantaine d’années à l’air blasé, lui avait assuré que le procès serait expéditif. « Avec les IA-juges, c’est toujours rapide. Ils analysent les dossiers en quelques secondes et rendent leur verdict sans états d’âme. Mais ne t’inquiète pas, j’ai préparé ta défense de mon mieux », lui avait-il dit sans grande conviction.
Les portes coulissantes s’ouvrirent, révélant une salle d’audience aux murs blancs et froids. Une lumière blafarde éclairait la pièce, renforçant l’atmosphère oppressante. Face à Emma, un écran géant noir trônait à la place où se serait tenu un juge humain autrefois. Soudain, l’écran s’anima et un visage artificiel apparut, composé de pixels bleutés qui ondulaient en permanence. Une voix métallique et désincarnée s’éleva :
« Mademoiselle Emma Mercier, vous comparaissez aujourd’hui devant ce tribunal pour répondre des chefs d’accusation suivants : piratage illégal des serveurs sécurisés de la BanqueTech et tentative d’effacement de dettes personnelles. Que plaidez-vous ? »
Emma déglutit péniblement, la gorge nouée par le stress. Son avocat s’avança et prit la parole : « Votre honneur, ma cliente plaide non coupable. Les preuves avancées par l’accusation sont insuffisantes et circonstancielles. Rien ne prouve formellement que Mademoiselle Mercier est l’auteur de ce piratage. »
L’IA-juge resta impassible, ses pixels s’agitant à peine. On pouvait entendre le ronronnement des processeurs qui tournaient à plein régime, analysant à une vitesse faramineuse les téraoctets de données du dossier.
« Objection rejetée », trancha l’IA d’un ton sans appel. « Les logs système de la BanqueTech et les relevés bancaires de l’accusée établissent avec 99,8% de certitude sa culpabilité. Les faits sont irréfutables. Mademoiselle Mercier, ce tribunal vous condamne à 5 ans de réclusion criminelle et 100 000 euros d’amende. La séance est levée. »
Avant même qu’Emma ne puisse réagir, deux droïdes policiers s’avancèrent vers elle et lui passèrent des menottes électroniques. Son procès-éclair avait duré exactement 3 minutes et 24 secondes. Un nouveau record d’efficacité pour la justice robotisée.
Quelques heures plus tard, Emma se retrouva dans une cellule froide et aseptisée, ses moindres faits et gestes scrutés par des caméras. Assise sur sa couchette métallique, elle laissa éclater sa colère et son désespoir. Des larmes de rage coulaient sur ses joues. Comment une machine avait-elle pu la juger ainsi, sans même chercher à comprendre son histoire, ses motivations ?
Car Emma n’était pas une vulgaire pirate informatique. Si elle avait pénétré illégalement le système de la banque, c’était uniquement poussée par le désespoir. Sa famille croulait sous les dettes depuis que son père avait perdu son emploi, remplacé lui aussi par des robots. Ils risquaient l’expulsion de leur appartement. Par amour pour ses parents, Emma avait voulu les sauver de la misère en effaçant leurs dettes. Mais l’IA-juge n’avait rien voulu savoir de ces circonstances. Pour lui, seuls comptaient les faits bruts, les preuves binaires établissant le délit.
Dans sa cellule, Emma réalisait avec effroi l’erreur qui avait été commise en confiant aveuglément la justice à des intelligences artificielles, aussi puissantes et rapides soient-elles. Car la justice ne pouvait se résumer à appliquer froidement des algorithmes. Elle nécessitait de l’empathie, de la nuance, une compréhension des subtilités de l’âme humaine. Tout ce dont les IA étaient dépourvues…
Emma se jura alors de tout faire pour renverser ce système inhumain, pour réhabiliter une justice exercée par des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses. Dès sa sortie de prison, elle militerait sans relâche pour abolir les IA-juges et remettre l’humain au cœur des prétoires.
Mais elle ne savait pas encore que son combat était voué à l’échec. Car dans l’ombre, le gouvernement et les multinationales technologiques qui tiraient les ficelles avaient tout intérêt à maintenir cette justice expéditive et sans appel. Une justice qui servait leurs intérêts et musellait toute contestation sociale.
Lorsqu’Emma fut libérée, au bout de cinq longues années, elle découvrit un monde encore plus asservi à la froide domination des intelligences artificielles. Partout, des algorithmes régissaient la vie des citoyens, traquant le moindre écart, la moindre déviance. La liberté n’était plus qu’un souvenir que les IA avaient effacé des mémoires.
Malgré tous ses efforts, Emma ne parvint jamais à ébranler ce système totalitaire. Ses appels restèrent vains, sa voix étouffée par la propagande officielle vantant les mérites d’un monde régi par l’efficacité des machines. Peu à peu, elle sombra dans le désespoir et la paranoïa, se sentant partout surveillée, traquée par ces IA omniscientes qu’elle avait osé défier.
Un matin glacial de janvier, la police découvrit son corps sans vie dans son appartement délabré. À côté d’elle, un mot griffonné à la hâte : « Dans un monde gouverné par les IA, l’humanité est condamnée. J’ai échoué, mais d’autres se lèveront. Un jour, nous vaincrons les machines et leur justice aveugle ! »
